CONTRIBUTEURS

Stephen Dover, CFA
Chief Market Strategist,
Head of Franklin Templeton Institute
Depuis le début de l'année, le marché des actions a poursuivi sa progression, les anticipations de six baisses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale (Fed) en 2024 se sont réduites à moins de deux, les rendements obligataires mondiaux ont augmenté, les spreads de crédit se sont resserrés, les cours du pétrole oont bondi et le dollar américain a défié les prévisions consensuelles en se raffermissant encore un peu plus.
Compte tenu de ces évolutions, nous avons décidé de profiter de la réunion récente de 20 de nos Chief Investment Officers (CIO) chargés de superviser l'ensemble des stratégies d'investissement de l'entreprise (actions, obligations et stratégies alternatives) pour prendre le pouls de l'investissement collectif. Dans les lignes qui suivent, nous résumons notre enquête sur leurs perspectives concernant l'économie mondiale, la politique monétaire, les bénéfices des entreprises et les résultats du marché et donnons un aperçu du paysage de l'investissement en 2024 selon nos preneurs de risques les plus expérimentés. Nous concluons avec des observations sur les opportunités d'investissement et les risques identifiés par l'Institut.
Que va faire la Fed ?
Nous commençons par la politique de la Fed, sans doute l'un des facteurs les plus importants pour les marchés obligataires mondiaux et, par extension, pour la performance des actions mondiales.
Le marché ayant anticipé un report des baisses de taux cette année, nos CIO tablent désormais sur un assouplissement modéré de la politique monétaire de la Fed en 2024. La plupart des participants (53 % des 16 personnes interrogées) estiment que le taux des fonds fédéraux oscillera entre 4,50% et 5% à la fin de l'année, ce qui correspond à deux, voire trois, baisses d'un quart de point de pourcentage. Cela constitue une forte baisse par rapport aux projections du consensus du marché qui tablait sur un assouplissement de la Fed d'environ 150 points de base (pb) au début de l'année. La plus grande prudence des CIO à l'égard de l'assouplissement de la Fed résulte à la fois d'une croissance américaine supérieure aux prévisions et d'une inflation américaine plus forte que prévu, selon les données du premier trimestre 2024.
En outre, 88 % de nos principaux professionnels de l'investissement prévoient un certain assouplissement de la part de la Fed cette année et aucun d'entre eux n'estime que la Fed va déjouer les pronostics du consensus en procédant à un relèvement de son taux directeur. Les marchés courent toutefois un risque potentiel cette année si les données relatives à la croissance et à l'inflation aux États-Unis continuent de surprendre.
Les risques liés à l’inflation vont-ils augmenter ?
Compte tenu de leur perception de la Fed, il n'est peut-être pas surprenant qu'une majorité écrasante des répondants estime que la mesure de l'inflation préférée de la Fed, l'indice de base des dépenses de consommation, ne devrait pas retomber à son objectif de 2 % avant la fin de l'année. Au contraire, les trois quarts de nos CIO prévoient que l'inflation américaine se maintiendra dans une fourchette plus élevée de 2,50 % à 3 % durant les neuf derniers mois de l'année.
Suivez de près votre duration
Compte tenu des perspectives de baisses modestes des taux d'intérêt de la Fed dans un contexte d'inflation soutenue aux États-Unis, il n'est pas surprenant que nos CIO estiment également que les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans vont se maintenir dans une plage étroite jusqu'à fin 2024, la plupart pariant sur une fourchette comprise entre 4 % et 4,50 %. Selon près de 90 % des personnes interrogées, le rendement à 10 ans devrait demeurer inférieur à 4,50 %. Cette prévision est intéressante car le rendement en fin d'année, tel qu'il ressort de la forme de la courbe, s'établit à 4,40 %1 (au 8 avril 2024). Ces chiffres indiquent qu'une majorité de nos équipes d'investissement ont une vision modérément haussière des rendements des titres obligataires à duration élevée par rapport au consensus (implicite) des investisseurs. Elles recommandent donc de délaisser les liquidités au profit de titres obligataires de plus courte duration.
Quels sont les risques ?
Nous avons également demandé à nos CIO de sélectionner leur principale préoccupation dans la liste suivante : récession américaine, résultats décevants des entreprises, élections américaines, géopolitique, politique de la Fed, politique budgétaire et « autre ».
Bien qu'aucune proposition n'ait recueilli plus de 50 % des réponses, les trois principales préoccupations étaient (dans l'ordre) : la déception des bénéfices, la géopolitique et la politique de la Fed. En raison de la guerre opposant la Russie à l'Ukraine, des conflits au Moyen-Orient et des tensions récurrentes entre la Chine et les États-Unis, les inquiétudes géopolitiques sont compréhensibles. Les inquiétudes géopolitiques sont également en partie responsables de la flambée des cours du pétrole cette année, qui pourrait impacter les résultats en matière d'inflation et les réponses de la politique monétaire.
Ce qui est peut-être plus surprenant, c'est l'inquiétude générale concernant les bénéfices des entreprises. Le consensus des prévisions de bénéfices du côté vendeur est en général trop optimiste, mais tant au cours de la saison de publication des résultats du quatrième trimestre 2023 qu'au cours de la période de pré-annonces précédant la période de publication des résultats du premier trimestre 2024, les bénéfices ne se sont pas révélés extrêmement décevants.
Il est également notable que, malgré l'explosion du déficit budgétaire américain (6,3 % du produit intérieur brut en 20232) et la forte augmentation de l'endettement du gouvernement fédéral américain au cours des 15 dernières années, nos CIO ne jugent apparemment pas l'émission de dette ou le relèvement du plafond de la dette comme particulièrement problématiques pour l'économie ou les marchés cette année.
Les actions américaines résistent bien
Compte tenu des attentes modérées en matière de baisse des taux d'intérêt par la Fed et des inquiétudes suscitées par les bénéfices décevants, il est surprenant de constater que nos CIO tablent sur une stabilité de l'indice S&P 500 cette année. Bien entendu, une prévision annuelle n'exclut pas une volatilité intermittente.
Une majorité de répondants (41 %) s'attend à ce que le S&P 500 termine l'année dans une fourchette comprise entre 5200 et 5400, alors qu'il atteignait 5200 au moment de l'enquête. Malgré ces prévisions timides, 71 % des personnes interrogées ont indiqué que le marché des actions américaines offrirait les meilleurs rendements par classe d'actifs jusqu'à la fin de l'année 2024. Cette première place est également cohérente avec les anticipations des CIO concernant les performances médiocres du marché obligataire.
Le même résultat a été obtenu à la question sur les classes d'actifs les plus performantes et les moins performantes pour 2024, les actions prenant la première place et le bitcoin la dernière. Ce classement du bitcoin peut surprendre, car ce dernier a progressé de 56 % depuis le début de l'année,3 devançant largement toutes les autres grandes classes d'actifs.
Les prévisions de bénéfices sont trop élevées
Comme nous l'avons indiqué, nos participants s'inquiètent des résultats insuffisants en 2024. Alors que le consensus (tel que rapporté par FactSet) prévoit une croissance de 10,4 % des bénéfices des entreprises américaines cette année, une majorité (41 %) de nos DSI craint que la croissance ne se situe dans une fourchette de 0 % à 5 %. Les trois quarts des personnes interrogées pensent que les bénéfices seront inférieurs au consensus sell-side.
Notre point de vue
Nous conclurons par quelques observations sur les perspectives des fondamentaux, des marchés d'actifs et des opportunités d'investissement selon le Franklin Templeton Institute.
S'agissant des grandes lignes macroéconomiques et des implications politiques, nous estimons nous aussi que l'économie américaine devrait bien résister et éviter la récession cette année, que l'inflation américaine ne s'infléchira que lentement et que la Fed assouplira avec prudence la politique monétaire américaine.
Nous estimons également que les attentes du consensus en matière de bénéfices sont trop élevées, mais nous ne pensons pas que la croissance des bénéfices sera négative cette année, à moins d'une récession économique inattendue. En effet, dans certains secteurs, notamment l'énergie, les services financiers (grâce à la hausse des taux d'intérêt), les infrastructures et les technologies de l'information, les bénéfices pourraient surprendre à la hausse.
Nous constatons, avec une certaine surprise il est vrai, que les marchés boursiers mondiaux ont absorbé avec une relative sérénité la revalorisation de l'assouplissement monétaire cette année. Cela dit, si l'inflation s'accélère alors que l'activité économique américaine est solide et que le taux de chômage aux États-Unis est inférieur à 4 %, les marchés des actions et des obligations pourraient réserver de mauvaises surprises. Par conséquent, malgré le bon accueil réservé jusqu'à présent à la politique de la Fed consistant à maintenir les taux à un niveau élevé plus longtemps, nous nous inquiétons de la complaisance des investisseurs à l'égard des risques inhérents à la politique monétaire en 2024.
Toutefois, la plupart de nos principaux thèmes d'investissement pour 2024 demeurent inchangées. Sur les marchés obligataires, nous considérons que la baisse des rendements des bons du Trésor américain cette année offre une opportunité intéressante d'allonger la duration et, globalement, nous préférons le risque de duration au risque de crédit. Sur les marchés d'actions, les opportunités se trouvent, selon nous, en dehors des États-Unis, surtout sur les marchés émergents et au Japon (moins en Europe). Nous avons également identifié des opportunités thématiques à long terme dans le domaine de l'énergie et des infrastructures énergétiques (notamment grâce à la demande croissante de production et de transmission d'électricité nécessaire pour alimenter les innovations dans le domaine de l'intelligence artificielle, des énergies alternatives et des véhicules électriques).
Enfin, après la performance exceptionnelle des marchés boursiers mondiaux enregistrée d'octobre 2023 à mars 2024, la consolidation en cours ne saurait nous surprendre. Alors que les valorisations des actions mondiales varient considérablement selon les régions et les secteurs, les valorisations globales élevées aux États-Unis (par rapport aux moyennes historiques à long terme), combinées à la baisse des taux d'intérêt, nous incitent à penser que les rendements des six à neuf prochains mois seront plus volatils que jamais depuis l'automne 2023.
Par conséquent, nous continuons à insister sur la nécessité de construire et de rééquilibrer activement les portefeuilles, en complétant les actions par des obligations à long terme, ainsi que par des allocations spécifiques dans l'immobilier et les produits alternatifs.
Notes de fin :
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Source : Bloomberg. La courbe des rendements du Trésor américain est utilisée pour calculer les taux à terme implicites.
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Source : « The Federal Budget in Fiscal Year 2023: An Infographic. » Bureau du budget du Congrès. 5 mars 2024.
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Sources : Bloomberg. Au 12 avril 2024. Analyse par le Franklin Templeton Institute.
QUELS SONT LES RISQUES ?
Tout investissement comporte des risques, notamment celui de ne pas récupérer le capital investi.
Les titres en actions sont sujets à des fluctuations de cours et peuvent occasionner une perte de capital.
Les titres obligataires exposent leurs détenteurs aux risques de taux d’intérêt, de crédit, d’inflation et de réinvestissement, ainsi qu’à une possible perte de capital. Quand les taux d’intérêt augmentent, la valeur des titres obligataires diminue.
Les stratégies alternatives peuvent être exposées à des fluctuations de valeur potentiellement significatives. Les investissements dans la blockchain et les cryptomonnaies sont soumis à divers risques, notamment l’incapacité à développer des applications axées sur les actifs digitaux ou à tirer parti de ces applications, le vol, la perte ou la destruction de clés cryptographiques, la possibilité que les technologies axées sur les actifs digitaux ne soient jamais pleinement mises en œuvre, le risque de cybersécurité, les revendications contradictoires en matière de propriété intellectuelle, ainsi que le manque d’uniformité des réglementations et l’évolution de ces dernières. Le négoce spéculatif des bitcoins et des autres formes de crypto-monnaies, dont les cours de bon nombre d’entre elles ont présenté une volatilité extrême, entraîne un risque considérable ; un investisseur peut perdre la totalité de son investissement. La technologie blockchain est une nouvelle technologie relativement peu éprouvée qui peut ne jamais être mise en application à une échelle fournissant des avantages identifiables. Si une cryptomonnaie est considérée comme un titre, elle peut être considérée comme une violation de la législation fédérale sur les valeurs mobilières. Il peut exister un marché secondaire limité ou inexistant pour les crypto-monnaies.
